« Échec et Mat. Je t'ai encore battu. »
Thomas, mon frère jumeau, m'adressa un grand sourire narquois auquel je répondis par un petit haussement d'épaules.
Je me levais doucement de la chaise sur laquelle j'étais assise, et me dirigeais vers un fauteuil libre faisant face à la fenêtre, me donnant une vue imprenable sur la mer agitée, malgré la pluie qui brouillait ma vue.

Je soupirais pour la millième fois de la journée. Qu'est-ce que le temps est long quand il pleut !

Depuis que nous étions arrivés en Bretagne, vers le 25 juillet, il tombait des trombes d'eau. Au début, mes parents avaient joué le jeu, en nous mettant des imperméables pour nous balader, ou alors en nous emmenant faire des activités à l'intérieur, mais nous en avions rapidement fait le tour, et depuis deux jours, nous étions coincés à l'hôtel avec pour seul distraction un jeu d'échec. La partie que je venais de perdre contre Thomas était la septième que nous jouions aujourd'hui.

« C'est bon, ne fais pas la tête, je plaisantais !
-Je ne te fais pas la tête, rétorquai-je , je regarde ce qu'il se passe dehors !
-Et que vois-tu d'intéressant ? Aaaah !
-Quoi encore ?
-Mais il pleut ! Mon Dieu, et moi qui ne m'en étais pas aperçu ! »
Ces plaisanteries me laissèrent de marbre, et je changeais rapidement de sujet.

« Tu vois cet homme, là-bas, sur le ponton ?
-Euh... Oui. Il doit être sacrément timbré pour sortir par ce temps et pour s'installer à cet endroit ! Les vagues sont tellement fortes qu'il pourrait se noyer !
-Ce n'est pas la première fois que je le vois. Il était déjà là hier, mercredi, mardi et lundi ! Avant, je ne sais pas, je n'ai pas vraiment fait attention... Sauf qu'aujourd'hui, il tient des fleurs et...»

La voix de la patronne de l'hôtel m'interrompit.
« Il viens depuis le jour de votre arrivée, ma belle. »
C'était une femme très gentille, mais je n'aimais pas qu'elle m'appelle ainsi et qu'elle dise « mon mignon » à mon frère au lieu de « Irène et Thomas ». Cependant, je ne relevais pas cette fois, attendant qu'elle poursuive.

« Pauvre homme... Une si triste histoire...
-Que s'est-il passé ? Demanda Thomas.
-Cela ne vous concerne pas, mes jolis.
-Allez, s'il vous plaît ! »

Je lui adressais mon regard de chien battu. Elle sourit :
« Bon, d'accord, mais vous ne m'interrompez pas pendant mon récit, sinon j'arrête illico !
-Promis, dîmes-nous en coeur. »

Elle prit un fauteuil à côté du mien, et commença.
« Cet homme se nomme Albert Bazet. C'était un homme très gentil, courtois et poli, ayant toujours un sourire pour quelqu'un.
Il vivait seul avec sa fille, la p'tite Lena. Qu'est-ce qu'il était fou de cette gosse ! Il lui cédait tous ses caprices, et aurait sauté du haut de la Tour Eiffel pour la satisfaire. Cependant, loin d'être une peste pourrie gâtée, c'était un vrai ange ! Tout le monde l'adorait au village, et je ne faisais pas exception... »

Elle arrêta brusquement de parler, les larmes aux yeux.
Thomas me regarda d'un air perplexe.

La patronne reprit son récit, en parlant d'une voix un peu étranglée.
«Lise, la femme d'Albert est morte noyée il y a deux ans. Cela avait été un grand choc pour lui, mais plutôt que de déprimer ou de pleurer, il avait décidé de s'occuper encore plus de Lena. D'une certaine manière, il avait placé en elle toute l'affection qu'il gardait dans son cœur.

Il y a environ un an, alors que Albert et Lena se promenait sur la plage, la gosse à fait un malaise juste devant le ponton dont vous parliez toute à l'heure. Il paraît qu'elle est restée inconsciente à peine quelques secondes avant de reprendre ses esprits et de se mettre à hurler :
« C'est ici ! C'est ici que maman est morte ! C'est à cause de Lui, il l'a obligé, et elle a sauté ! Mais Il n'y arrivera pas avec moi, Ô non il n'y arrivera pas ! Je ne veux pas mourir !»
Elle s'est égosillée ainsi pendant une bonne demi-heure avant que son père ne parvienne à la calmer. »

J'écoutais le récit, subjugué par ce que Astrid, la patronne, disait.

« Ce qu'il faut comprendre, c'est qu'on ne sait pas pourquoi est-ce que Lise est morte. On a juste retrouvé son corps sur la plage le jeudi, trois jours après sa disparition, et le médecin légiste à dit qu'elle s'était noyée le mardi.

Après sa crise, Lena s'est soudain repliée sur elle-même. Elle ne parlait plus que par monosyllabe, et les rares fois où elle faisait des phrases complètes, c'était pour dire des choses comme « Je ne veux pas mourir », ou bien « Moi, Il ne m'obligera pas ».

Albert était mort d'inquiétude. Il l'a emmené voir un psy, et vous savez ce que ce charlatan lui a dit ? Que c'était la mort de sa mère qui la perturbait ! Un an après les faits, tout de même ! Mais Albert y a cru dur comme fer. S'il était allez voir un autre psy, peut-être que ça ne serait jamais arrivé... »

Je ne pus me contenir plus longtemps, et demandais :
« Que s'est-il passé ?
-Lena est morte. Il y a un an, jour pour jour. Tout comme Lise est morte il y a exactement deux ans.
-Comment ?!
-Le jour de l'anniversaire de la mort de sa femme, Albert a lâché des yeux sa fille pendant... Dix minutes, un peu moins peut-être ? Toujours est-il qu'il a été incapable de la retrouver... Pris d'une brusque intuition, il a couru vers le ponton juste à temps pour voir Lena courir et sauter dans la mer en furie. La dernière chose qu'elle lui a dit, c'est « Désolé papa, je n'ai pas réussi à Lui résister ».

Son corps a été retrouvé trois jours plus tard. Exactement comme celui de sa mère.

Albert a été anéantie. Tout les jours, il se rend ici, et pleure. Parfois, en revenant, il passe au bar de l'hôtel. Un soir où il avait particulièrement bu, il m'a dit :
« Je comprends ce que Lena voulait dire. Maintenant, c'est à moi qu'Il parle. Il me demande de les rejoindre. Mais pas avant le premier août, car c'est à cette date-là que Lise, Lena, Cassandre et Salomé sont mortes. »
Bien évidemment, je lui ai demandé qui était cette Cassandre et cette Salomé, ainsi que ce « Il » mystérieux. Il m'a répondu :
« C'est sa femme et sa fille a Lui. Avant, Il s'appelait Jacques. »

Je n'ai rien pu en tirer d'autres. Je me suis renseignée, et effectivement, un pêcheur nommé Jacques est mort le premier août dans un naufrage. Sa femme et sa fille aussi, à un puis deux ans d'intervalles.
-Mais pourquoi est-ce que le pêcheur parlait dans la tête d'Albert ? Et pourquoi est-ce qu'il aurait forcé Lena et Lise à se tuer ? Et si il parlait réellement dans la tête des gens, comment il fait pour les obliger à se plier à ses désirs ? questionna Thomas.
-Ça mon mignon, on ne le saura sans doute jamais. »

Astrid se leva du fauteuil, lança un bref regard triste à la silhouette qui se dessinait sur le ponton, et retourna derrière le bar.

Fascinés, nous avons regardé par la fenêtre pendant une bonne dizaine de minutes. Tout à coup, nous vîmes Albert se lever et s'éloigner doucement du pont.
« Irène ? m'appela Thomas .
-Qu'est-ce qu'il y a ?
-Nous sommes le premier août. »

A peine avait-il fini sa phrase que nous le vîmes faire volte-face, se mettre à courir et plonger dans l'eau glacée.
« Astrid ! Hurlais-je. Il a sauté !»

La patronne releva la tête, et me regarda droit dans les yeux.

« Tu veux que je te le dise ma belle ? Cela ne m'étonne pas vraiment ... »

« Échec et Mat. Je t'ai encore battu. »
Thomas, mon frère jumeau, m'adressa un grand sourire narquois auquel je répondis par un petit haussement d'épaules.
Je me levais doucement de la chaise sur laquelle j'étais assise, et me dirigeais vers un fauteuil libre faisant face à la fenêtre, me donnant une vue imprenable sur la mer agitée, malgré la pluie qui brouillait ma vue.

Je soupirais pour la millième fois de la journée. Qu'est-ce que le temps est long quand il pleut !

Depuis que nous étions arrivés en Bretagne, vers le 25 juillet, il tombait des trombes d'eau. Au début, mes parents avaient joué le jeu, en nous mettant des imperméables pour nous balader, ou alors en nous emmenant faire des activités à l'intérieur, mais nous en avions rapidement fait le tour, et depuis deux jours, nous étions coincés à l'hôtel avec pour seul distraction un jeu d'échec. La partie que je venais de perdre contre Thomas était la septième que nous jouions aujourd'hui.

« C'est bon, ne fais pas la tête, je plaisantais !
-Je ne te fais pas la tête, rétorquai-je , je regarde ce qu'il se passe dehors !
-Et que vois-tu d'intéressant ? Aaaah !
-Quoi encore ?
-Mais il pleut ! Mon Dieu, et moi qui ne m'en étais pas aperçu ! »
Ces plaisanteries me laissèrent de marbre, et je changeais rapidement de sujet.

« Tu vois cet homme, là-bas, sur le ponton ?
-Euh... Oui. Il doit être sacrément timbré pour sortir par ce temps et pour s'installer à cet endroit ! Les vagues sont tellement fortes qu'il pourrait se noyer !
-Ce n'est pas la première fois que je le vois. Il était déjà là hier, mercredi, mardi et lundi ! Avant, je ne sais pas, je n'ai pas vraiment fait attention... Sauf qu'aujourd'hui, il tient des fleurs et...»

La voix de la patronne de l'hôtel m'interrompit.
« Il viens depuis le jour de votre arrivée, ma belle. »
C'était une femme très gentille, mais je n'aimais pas qu'elle m'appelle ainsi et qu'elle dise « mon mignon » à mon frère au lieu de « Irène et Thomas ». Cependant, je ne relevais pas cette fois, attendant qu'elle poursuive.

« Pauvre homme... Une si triste histoire...
-Que s'est-il passé ? Demanda Thomas.
-Cela ne vous concerne pas, mes jolis.
-Allez, s'il vous plaît ! »

Je lui adressais mon regard de chien battu. Elle sourit :
« Bon, d'accord, mais vous ne m'interrompez pas pendant mon récit, sinon j'arrête illico !
-Promis, dîmes-nous en coeur. »

Elle prit un fauteuil à côté du mien, et commença.
« Cet homme se nomme Albert Bazet. C'était un homme très gentil, courtois et poli, ayant toujours un sourire pour quelqu'un.
Il vivait seul avec sa fille, la p'tite Lena. Qu'est-ce qu'il était fou de cette gosse ! Il lui cédait tous ses caprices, et aurait sauté du haut de la Tour Eiffel pour la satisfaire. Cependant, loin d'être une peste pourrie gâtée, c'était un vrai ange ! Tout le monde l'adorait au village, et je ne faisais pas exception... »

Elle arrêta brusquement de parler, les larmes aux yeux.
Thomas me regarda d'un air perplexe.

La patronne reprit son récit, en parlant d'une voix un peu étranglée.
«Lise, la femme d'Albert est morte noyée il y a deux ans. Cela avait été un grand choc pour lui, mais plutôt que de déprimer ou de pleurer, il avait décidé de s'occuper encore plus de Lena. D'une certaine manière, il avait placé en elle toute l'affection qu'il gardait dans son cœur.

Il y a environ un an, alors que Albert et Lena se promenait sur la plage, la gosse à fait un malaise juste devant le ponton dont vous parliez toute à l'heure. Il paraît qu'elle est restée inconsciente à peine quelques secondes avant de reprendre ses esprits et de se mettre à hurler :
« C'est ici ! C'est ici que maman est morte ! C'est à cause de Lui, il l'a obligé, et elle a sauté ! Mais Il n'y arrivera pas avec moi, Ô non il n'y arrivera pas ! Je ne veux pas mourir !»
Elle s'est égosillée ainsi pendant une bonne demi-heure avant que son père ne parvienne à la calmer. »

J'écoutais le récit, subjugué par ce que Astrid, la patronne, disait.

« Ce qu'il faut comprendre, c'est qu'on ne sait pas pourquoi est-ce que Lise est morte. On a juste retrouvé son corps sur la plage le jeudi, trois jours après sa disparition, et le médecin légiste à dit qu'elle s'était noyée le mardi.

Après sa crise, Lena s'est soudain repliée sur elle-même. Elle ne parlait plus que par monosyllabe, et les rares fois où elle faisait des phrases complètes, c'était pour dire des choses comme « Je ne veux pas mourir », ou bien « Moi, Il ne m'obligera pas ».

Albert était mort d'inquiétude. Il l'a emmené voir un psy, et vous savez ce que ce charlatan lui a dit ? Que c'était la mort de sa mère qui la perturbait ! Un an après les faits, tout de même ! Mais Albert y a cru dur comme fer. S'il était allez voir un autre psy, peut-être que ça ne serait jamais arrivé... »

Je ne pus me contenir plus longtemps, et demandais :
« Que s'est-il passé ?
-Lena est morte. Il y a un an, jour pour jour. Tout comme Lise est morte il y a exactement deux ans.
-Comment ?!
-Le jour de l'anniversaire de la mort de sa femme, Albert a lâché des yeux sa fille pendant... Dix minutes, un peu moins peut-être ? Toujours est-il qu'il a été incapable de la retrouver... Pris d'une brusque intuition, il a couru vers le ponton juste à temps pour voir Lena courir et sauter dans la mer en furie. La dernière chose qu'elle lui a dit, c'est « Désolé papa, je n'ai pas réussi à Lui résister ».

Son corps a été retrouvé trois jours plus tard. Exactement comme celui de sa mère.

Albert a été anéantie. Tout les jours, il se rend ici, et pleure. Parfois, en revenant, il passe au bar de l'hôtel. Un soir où il avait particulièrement bu, il m'a dit :
« Je comprends ce que Lena voulait dire. Maintenant, c'est à moi qu'Il parle. Il me demande de les rejoindre. Mais pas avant le premier août, car c'est à cette date-là que Lise, Lena, Cassandre et Salomé sont mortes. »
Bien évidemment, je lui ai demandé qui était cette Cassandre et cette Salomé, ainsi que ce « Il » mystérieux. Il m'a répondu :
« C'est sa femme et sa fille a Lui. Avant, Il s'appelait Jacques. »

Je n'ai rien pu en tirer d'autres. Je me suis renseignée, et effectivement, un pêcheur nommé Jacques est mort le premier août dans un naufrage. Sa femme et sa fille aussi, à un puis deux ans d'intervalles.
-Mais pourquoi est-ce que le pêcheur parlait dans la tête d'Albert ? Et pourquoi est-ce qu'il aurait forcé Lena et Lise à se tuer ? Et si il parlait réellement dans la tête des gens, comment il fait pour les obliger à se plier à ses désirs ? questionna Thomas.
-Ça mon mignon, on ne le saura sans doute jamais. »

Astrid se leva du fauteuil, lança un bref regard triste à la silhouette qui se dessinait sur le ponton, et retourna derrière le bar.

Fascinés, nous avons regardé par la fenêtre pendant une bonne dizaine de minutes. Tout à coup, nous vîmes Albert se lever et s'éloigner doucement du pont.
« Irène ? m'appela Thomas .
-Qu'est-ce qu'il y a ?
-Nous sommes le premier août. »

A peine avait-il fini sa phrase que nous le vîmes faire volte-face, se mettre à courir et plonger dans l'eau glacée.
« Astrid ! Hurlais-je. Il a sauté !»

La patronne releva la tête, et me regarda droit dans les yeux.

« Tu veux que je te le dise ma belle ? Cela ne m'étonne pas vraiment ... »